Mercedes 600 Pullman contre Maybach 62
Par Charles Paxson
Photographe : Ghislain Balemboy
Source : V12 GTCoco Chanel, Hugh Hefner, Elizabeth Taylor, John Lennon, George Harrison, Aristotle Onassis, Jack Nicholson, Elvis Presley, Rowan Atkinson, Jeremy Clarkson, Tito, Fidel Castro, Enver Hoxha, Leonid Brezhnev, Kim Il-sung, Kim Jong-Il, Idi Amin Dada, Ferdinand Marcos, Shah Mohammad Reza Pahlavi, Saddam Hussein, Deng Xiaoping, Zhou Enlai, Norodom Sihanouk , Herbert von Karajan, le Pape Paul VI, Marcel Dassault… tous ont un point commun : la Mercedes 600.Rien que le meilleurLa 600 Pullman glisse majestueusement Quai de la Tournelle, puis s’arrête devant la Tour d'Argent, au N°15. Toujours attentif, Alain, le chasseur, se précipite sur la portière gauche pour en laisser sortir Madame, puis Monsieur. Ils sont conduits vers l’ascenseur, pendant que Jacques va garer la 600 quelques mètres plus loin.
Une coupe de Champagne Salon 1963 est suivie d’un Aloxe-Corton qui accompagnera merveilleusement les Ortolans Salvador Dali. Pour le sublime Caneton aux Orangettes, Christian, le sommelier, propose un Gruand-Larose 1959, qui se révéla parfait. Le Soufflé Paul et Virginie est à peine dégusté que Claude Terrail, le maître des lieux, fait son apparition et vient saluer nos convives. Il leur propose de goûter un Calvados d’avant-guerre, qui réchauffe le cœur de Madame.
L’heure du retour a sonné. La 600 emprunte les voies sur berges nouvellement crées, où sa vitesse se stabilise à 80, berçant ses occupants du moelleux de sa suspensions. La nuit a finit par tomber. Monsieur actionne l’interrupteur commandant la banquette, elle s’incline sans un bruit. Puis il ouvre le toit ouvrant, découvrant d’une pression du doigt l’arrière de l’habitacle, permettant à Madame de profiter du ciel étoilé et des lumières de Paris…
La Mercedes 600 date d’une époque révolue, une époque où la notion de luxe était tout autre : Dorchester à Londres, Petrossian à Paris, Harry Winston à New York, Cristal de Roederer à Epernay, Polo à St. Moritz. L’argent coulait à flots, le champagne aussi, le Beluga était servi à la louche. Les gens fortunés assumaient parfaitement leur situation : ils n’éprouvaient pas pas le besoin de se fondre dans la masse, au volant d’un monospace informe, ils n’auraient jamais imaginé sortir autrement qu’en robe du soir ou en smoking à la mesure, une Cartier « Tortue » ou « Tank américaine » au poignet, pour aller déguster une poularde de Bresse en demi-deuil chez Maxim’s, installés à l'arrière d'une 600 Pullman ou d'une Phantom VI.
Voyage dans l'espaceNous sommes en 2009, il fait plutôt gris, et le périphérique Sud est encombré comme toujours. Je suis installé à l’arrière de la Maybach 62, dont le double vitrage me coupe du bruit peu harmonieux des moteurs diesels motorisant les vilaines voitures qui nous entourent, mais que nous cachent heureusement les rideaux électriques des portes.
Pressés de quitter cet environnement peu esthétique, nous rejoignons l'A13 et accélérons. Les deux Turbos qui aident le V12 dans sa tâche génèrent une poussée qui me plaque légèrement au dossier de mon siège, un peu comme un Jet au décollage. Notre vitesse de croisière, que je peux consulter d’un coup d’œil au plafond sur un tachymètre dédié, s’établie à… tiens, B., le chauffeur, à le pied lourd aujourd’hui. Pourtant, le silence est impressionnant. A cette (vive) allure, nous dépassons d’autres véhicules, notre sillage se matérialisant en un coup de vent qui fait osciller légèrement leur carrosserie, une "signature" aérodynamique en quelque sorte...
Je « déroule » électriquement le siège individuel dans lequel je suis installé jusqu’à la position repos : dos incliné, jambes allongées mais parfaitement soutenues, c’est encore plus confortable que la Classe Affaires, et en plus je ne suis pas dérangé par un voisin désagréable dont je n’ai absolument pas envie d’écouter les commentaires insipides. Même dans cette position, je n’arrive pas à toucher du bout de mes chaussures le dossier du passager avant !
Je me sert un verre de soda glacé, et j’essaye de faire fonctionner le lecteur de DVD. Quel dommage que mon fils de 9 ans n’ai pu m’accompagner, il aurait déchiffré en quelques instants l’usage des dizaines de commandes diverses éparpillées sur la console et les contre-portes. J’ai tout de même compris comment rendre la dalle de toit transparente qui éclaire l’habitacle plus ou moins opaque. Je m’amuse à compter les espaces de rangement pour m’aider à sommeiller… 27... 28… 29…
Chef d'Etat ou Pop Star ?Le soleil daigne enfin apparaitre, nous sillonnons les jolies routes de l’Eure, un département où l’on trouvait des 600 à foison dans les années 60. Nous arrivons chez M. L., un des plus grand collectionneurs de 600 d’Europe. Une Pullman rutilante, la version longue, nous attend. Il s’agit d’un millésime 1969, en version 4 portes, équipé d’une séparation chauffeur, de sièges arrière en vis-à-vis et d’un toit ouvrant arrière. Rarissime car produite à seulement 428 exemplaires en 18 ans, soit 2 exemplaires par mois, la Pullman est une véritable prouesse technologique associée à une qualité de construction jamais égalée depuis.
Outre l’équipement hydraulique courant, elle est équipée d’un bar et d’un ensemble radio Becker avant/arrière. A noter aussi une climatisation complète, comprenant un plancher réfrigéré (!) pour les passagers avant, un faisceau en laiton aileté se cachant sous les moquettes. Son premier propriétaire était Mercedes Benz pour le compte de l'Etat Allemand, elle a servi à transporter nombre de dignitaires après avoir été présentée au Salon de Francfort cette même année.
Notre chauffeur gare la Maybach le long de la 600. Elles sont finalement très proches en dimensions, mais la 600 a l’air plus fine, plus élancée. Je m’installe à bord. Je suis immédiatement frappé par la luminosité de l’habitacle, dû à la finesse des montants de toits, qui autorisent une très bonne visibilité. Evidement, impossible de se dissimuler à la foule, a moins de tirer les rideaux de velours gris, ce qui permet de s’isoler un peu.
La 600 devant séduire 2 types de clientèle très distinctes, sa banquette arrière offre le choix d’inclinaisons du dossier, qui correspondent grosso modo à 2 personnalités bien distinctes. Première position : le « dignitaire », ou l’homme d’état. Vous êtes assis bien droit, les jambes ramenées contre la banquette, le dos soutenu par les ressorts, les sangles et le crin de la sellerie. Votre regard est dur, impassible, votre attitude impériale.
Deuxième position : la « pop star » ou John Lennon. Vous êtes allongé, voire carrément avachi, une haute dose de substances illégales diverse mélangées à du Scotch en grande quantité vous empêchant de relever la tête, votre regard dissimulé par des lunettes de soleil. Bref, vous êtes dans le meilleur état possible pour votre prochain concert. Bien entendu, toutes les positions intermédiaires sont possibles, d’autant plus si la nuit est avancée. Car la 600 sait s’adapter à toutes les situations, même les plus incongrues…
L’heureux propriétaire de cette flotte de 600 me sert de chauffeur. Nous quittons le garage où nous nous sommes donnés rendez vous, la 600 roule doucement sur une chaussée très abimée, où l’on aperçoit même des nids de poule dus au gel de l’hiver. Elle semble flotter au dessus des bosses, sans les transmettre au châssis. Je ressens bien quelques mouvements de caisse, mais pas de chocs ou de cognements. De plus, aucun élément de l’habitacle n’émet de couinement ou de bruit de frottement, le silence est total. Cela est dû à un montage particulièrement soigné, chaque pièce étant isolée par une gaine de feutre ou de cuir, avant d'être visée.
Nous arrivons à un stop, il freine doucement, puis s’engage sur la nationale. Il démarre en trombe, l’accélération me surprend, mais la carrosserie ne tangue pas, sa suspension pneumatique régulant les mouvements de caisse. Une estafette lambine sur la droite, la voie de gauche est libre, pied au plancher ! Heureusement que je ne puis apercevoir le compteur de vitesse de l’arrière, contrairement à la Maybach.
Je baisse la glace de séparation afin de mieux profiter du bruit du moteur, mais on ne l’entend guère. Seuls quelques bruits de roulement viennent troubler ma quiétude. J’actionne un bouton à ma droite, dont le pictogramme me fait penser à un feuilletage. L’habitacle est brusquement inondé de soleil et d’air frais. Notre Pullman dispose d’une option très rare sur la production actuelle : un toit ouvrant arrière, à commande hydraulique. De dimensions impressionnantes, à peu près 3 fois celui d’une berline moyenne, il coulisse de plus vers l’avant et non pas vers l’arrière, ce qui crée un effet inhabituel. Le soleil et l'air frais s'engouffrent dans le compartiment arrière. Il ne me manque plus qu’a me lever et à passer le haut du corps par l’ouverture pour profiter du beau temps, ou pour saluer la foule qui n’aura pas manqué de venir se masser sur les bas-côtés de la route. Je regarde par la fenêtre : personne ! Il fait peut-être trop froid… Il faudra revenir au printemps et songer à faire appeler le préfet.
Compter largeNous arrivons à toute vitesse sur une succession de virages. Le chauffeur ralentit énergiquement, au point de m’envoyer la tête la première dans le bar ! Il est malheureusement encore un peu tôt pour cela… Première courbe, je vois les bras du chauffeur effectuer des moulinets, l‘avant commence à virer, puis a giter de plus en plus, accompagné par l’arrière maintenant. Le roulis est impressionnant, je m’accroche à mon accoudoir. Je jette un coup d’œil derrière moi, la Maybach suit sans effort apparent, son chauffeur a l’air détendu.
Deuxième virage, vers la gauche cette fois. Le roulis revient, les pneus manifestent leur désaccord par des crissements dignes des séries américaines des années 70. Le troisième virage se resserre encore plus, j’ai l’impression qu’on ne passera pas. Voilà donc l’explication du confort de tout à l’heure : l’extrême souplesse des suspensions, capables d’absorber les pires pavés belges, se solde par une certaine prise de roulis en virage. Les pneus à profil haut, les réputés Michelin XWX encore disponibles à Clermont-Ferrand, doivent eux aussi contribuer au confort de par leur profil haut, du 70.
Nous gagnons la ville, et ralentissons l’allure. Nos deux limousines glissent majestueusement, leur longue silhouette se reflétant dans les vitrines des magasins. Les passants nous fixent sans aucune pudeur. Il est vrai que ces autos ne sont pas particulièrement discrètes. Nous arrivons sur un rond-point. La Maybach s’engage en premier. Exactement comme il le ferait à bord d’un poids lourd, le chauffeur calcule large, autant à l’entrée qu’à la sortie, ce qui surprendra un autre automobiliste ayant la mauvaise habitude de se glisser dans le moindre espace disponible et qui cherchait à nous doubler par le flanc gauche. La Pullman s’engage à son tour, j’ai l’impression que nous manœuvrons le Normandie à quai !
Mais pourquoi me préoccuper de ces souçis matériels au lieu de savourer le confort et l’oisiveté offerts par la 600? Pour une fois que je n’ai pas à prendre le volant ! J’admire les détails de la finition, qui ne laisse pas une centimètre de tôle apparente; tout est gainé de cuir, de chrome ou plaqué d’Ebène de Macassar, qui est bien plus rare et élégant que le noyer. Je ne me lasse pas de jouer avec les différentes commandes, dont le fonctionnement hydraulique, unique au monde, donne un raffinement soyeux à leur action, ce qui renforce cette impression de sophistication. J’ouvre le bar, dommage, il est vide, mais les carafons sont jolis. J’essaye de capter quelque chose sur la radio Becker Grand Prix d’époque, sans succès. Dommage que Catherine Deneuve ne m'ait pas accompagné... la 600 lui allait si bien.
Le soleil se couche bientôt, nous devons rentrer. Je laisse le photographe profiter du luxe arrière de la Maybach, et je reprends le volant de notre break E 500. Je n’avais jamais remarqué comment l’habitacle est petit et austère…
Fiche technique Mercedes 600
Fiche technique Maybach 62S
Un grand merci à l'Atelier 600, qui a accepté de nous confier cette magnifique 600 Pullman.