Mercedes-Benz W 154 1938-1939
Source : multimania.fr
De 1933 à 1937, l'
AIACR (Association Internationale des Automobiles Clubs Reconnus) a édicté pour les Grands Prix une formule internationale à cylindrée libre, avec ou sans compresseur, et poids maximum de 750 kg. Les Mercedes W25 puis W125 domineront avec les Auto Union Type C
(moteur V16 central arrière) sans partage pendant cinq saisons, ne laissant que des miettes à Alfa Romeo et aux autres constructeurs, quand ceux-ci, découragés, ne déserteront pas carrément les grilles de départ. A la fin 1936, l'
AIACR, effrayée par les puissances très élevées, annonça qu'à partir de 1938, la formule internationale aurait une cylindrée maximum, au choix, de 4500 cm3 sans compresseur ou 3000 cm3 avec compresseur; le poids maximum de 750 kg était abandonné.
Alors que l'usine Auto Union poursuivait, avec sa Type D V12, sur la voie du moteur central arrière, initiée par Ferdinand Porsche, chez Mercedes on restait fidèle au moteur avant. A Untertürckheim, la décision était prise en août 1937 de construire la future monoplace, sous la responsabilité générale de Rudolf Uhlenhaut et des ingénieurs Max Werner (châssis) et Albert Hess (moteur). Celle-ci allait hériter de la W 125 son châssis à deux longerons tubulaires (chrome, nickel, molybdène) de section ovale, mais l'empattement était raccourci de 7 cm et des renforts transversaux en accroissaient la rigidité. Les suspensions étaient également adaptées de la W 125. Les freins à tambours, de 400 mm de diamètre au début, passèrent ultérieurement à 440 mm. La plus grande innovation résidait dans le moteur. Après le " huit-en ligne " de 5660 cm3 de la W 125, celui de la W 154 allait être un V12 ouvert à 60°, de 2962 cm3, 67 mm d'alésage et 70 mm de course, distribution par deux doubles arbres à cames en tête et quatre soupapes par cylindre. Le circuit de refroidissement, au glycol, était protégé par quatre chemises d'eau entourant chacune trois cylindres. Le vilebrequin, à sept paliers, était forgé d'une seule pièce et monté sur roulements à billes. Il y avait un seul carburateur à double corps horizontal plus un carburateur auxiliaire, et deux compresseurs Roots disposés parallèlement. Avec un taux de compression de 6 : 1 seulement, ce moteur développa 427 ch à 8000 tr/mn dès les premiers essais au banc, en février 1938. Les versions ultérieures allaient délivrer jusqu'à 474 ch avec un taux de compression de 6,6 : 1. Afin d'abaisser le centre de gravité de la voiture ainsi que la hauteur de carrosserie, le moteur était installé en biais (angle de 6,5°), l'arbre de transmission passant à côté du pilote, grâce à cela assis plus bas. Innovation qu'on allait retrouver vingt ans plus tard sur les Scarab de Formule 1. La boîte-pont à 5 rapports était commandée par un levier situé à droite du pilote. La voiture, dotée d'immenses réservoirs devant et derrière le pilote, pouvant contenir 380 litres (!) d'un mélange d'acétone, nitro-benzène, éther et méthanol, était lourde: jusqu'à 1325 kg sur la ligne de départ, pilote compris.
Les premiers essais roulants de la W 154 se déroulèrent à Monza en mars 1938, avec la participation des pilotes de l'usine Rudolf Caracciola, Hermann Lang, Manfred Von Brauchitsch et Richard Seaman. Aux côtés du célèbre directeur sportif Alfred Neubauer, l'ingénieur Rudolf Uhlenhaut les supervisait; doué d'un excellent coup de volant, il prenait lui-même parfois les commandes et échangeait avec eux les points de vue techniques.
Un échec avant les triomphesMalgré un potentiel évident, la toute première course de la W 154 se solda par un revers cuisant pour le camp Allemand et une victoire 100 % Française, sur sol Français. Le 10 avril, au Grand Prix de Pau inaugurant la nouvelle formule, deux Mercedes étaient engagées pour Caracciola et Lang. Accidentée aux essais, Nuvolari déclara forfait, entraînant le retrait de l'équipe Alfa Romeo. Lors de ces essais, la W 154 de Lang eut une panne de lubrification. Seule prit le départ celle du grand Caracciola, qui prit la tête. Et l'impensable se produisit : une Delahaye 145 (V12 de 4,5 litres sans compresseur), conduite avec brio mais aussi avec mesure par René Dreyfus, doubla la Mercedes au 7° des 100 tours. Au 16° tour, Caracciola reprit le commandement mais ne parvint jamais à semer Dreyfus. Après ravitaillement de la vorace W 154, Hermann Lang en reprit le volant mais, gêné par des problèmes de boîte et d'embrayage, jamais, sur ce circuit urbain de 2,769 km, il ne put rattraper la Delahaye et son pilote, qui couraient toute la distance sans ravitailler. La Mercedes finit 2eme à 1'51".
Un mois plus tard (15 mai) à Tripoli, tout rentrait dans "l'ordre". Cette fois, trois W 154 étaient inscrites. Les Auto Union n'étaient encore pas prêtes mais les usines Alfa Romeo et Maserati étaient là en plus de Delahaye. Deux 312 pour Farina et Biondetti, deux 308 pour Sommer et Siena (Nuvolari n'étant toujours pas rétabli), deux nouvelles 8 CTF pour Varzi et Trossi, trois 145 pour Dreyfus, Comotti et Schell. Sur ce long et rapide circuit de 13,1 km, à parcourir 40 fois, les Mercedes n'en firent qu'une bouchée. Les Mercedes réalisèrent un triplé : 1 er Lang, 2 ème Von Brauchitsch, 3 ème Caracciola; Sommer 4 ème, était relégué à plus de... 13 minutes du vainqueur ! Malgré une saison 1938 tronquée par l'annulation des Grands Prix de Monaco, de Belgique, de l'Eifel, de l'AVUS et de Tchécoslovaquie, dans une Europe en proie à de graves tensions politiques, les Mercedes allaient encore dominer à plusieurs reprises : le 3 juillet, à Reims, dans le Grand Prix de l'ACF, en l'absence il est vrai des équipes Alfa Romeo, Maserati et Delahaye mais en présence des Auto Union Type D, enfin prêtes (deux voitures au départ pour Hasse et Kautz après accident de Müller sur la troisième aux essais), des Talbot d'Etancelin et Carrière et d'une solitaire Bugatti 3 litres avec Jean-Pierre Wimille. Les 500 km du Grand Prix furent avalés à 162,758 km/h de moyenne par le vainqueur Von Brauchitsch, devant ses camarades Caracciola et Lang qui assuraient le triplé. Le 24 juillet, dans le Grand Prix d'Allemagne sur le Nürburgring, qui voyait la rentrée de Nuvolari et ses débuts sur Auto Union, les Mercedes ne réalisèrent "que" le doublé. Le vainqueur (et auteur du meilleur tour) fut l'inattendu Richard Seaman, devant Caracciola relayé par Lang. Von Brauchitsch, en tête, avait abandonné après incendie lors d'un ravitaillement. Au Grand Prix de Suisse, dans le parc de Bremgarten à Berne, le 21 août, ce fut encore un triplé des W 154 : 1 er Caracciola, 2 ème Seaman, 3 ème Von Brauchitschdevant l'Auto Union de Stuck à 2 tours. A Monza le 11 septembre, dans le Grand Prix d'italie, et à Donington Park, le 22 octobre, elles essuyèrent (hormis Pau) leurs deux seuls revers : Nuvolari, désormais maître de l'Auto Union, s'adjugea les deux courses clôturant la saison.
Domination non sans partagePour 1939, la W154 était un peu plus puissante (480 ch mais à 7200 tr/mn) et moins lourde de 75 kg. La nouvelle version, dite W 154/M 163, disposait d'un compresseur à deux étages, d'un taux de compression monté à 7,16 : 1, d'un radiateur abaissé et de réservoirs plus grands (235 + 185 soit... 420 litres au total !). Les quatre pilotes de pointe étaient reconduits. A Pau le 2 avril, Lang et Von Brauchitsch réussirent cette fois un doublé parfait. Au Nürburgring le 21 mai pour les Coupes de l'Eifel, Nuvolari intercala son Auto Union entre les Mercedes du vainqueur Lang et celles de Caracciola et Von Brauchitsch. Le Grand Prix de Belgique, sur un circuit de Spa-Francorchamps détrempé, le 25 juin, fut le théâtre d'un drame : l'accident, juste avant le freinage de la source, du Britanique Richard Seaman, qui allait succomber dans la nuit à ses blessures et brûlures. Néanmoins, Lang remporta la course devant l'Auto Union de Hasse. Mais l'ACF, à Reims le 9 juillet, les Mercedes s'inclinèrent face aux Auto Union (1 er Müller; 2 ème Meier). Caracciola était sorti de la route en voulant suivre le train d'enfer de Nuvolari, dont l'Auto Union allait d'ailleurs casser; Von Brauchitsch puis Lang, alors en tête, abandonnèrent. Le 23 juillet, de retour sur le Nürburgring, au Grand Prix d'Allemagne, Caracciola renouait enfin avec la victoire, devant l'Auto Union de Müller; le 20 août, au Grand Prix de Suisse, c'était un nouveau mais ultime triplé des Mercedes W 154 (1 er Lang; 2 ème Caracciola; 3 ème Von Brauchitsch) devant les Auto Union de Müller et Nuvolari.
Nuvolari. allait, le 3 septembre à Belgrade, au Grand Prix de Yougoslavie, battre la Mercedes de Von Brauchitsch, donnant à Auto Union le dernier mot de " l'ère des titans ". Le même jour, la guerre était déclarée.....