“Dick” Seaman Un destin singulier
Par Joest Jonathan Ouaknine Le 27 juin 2009
Source : leblogauto Dick Seaman
Parmi les quatre pilotes des “flèches d’argent” Mercedes, John Richard Beattie Seaman était le seul non-Allemand. Qui plus est, c’était le plus ouvertement opposé au nazisme. D’ailleurs, il a bien failli tuer Hitler… Qui lui rendit néanmoins hommage à sa mort.
Seaman nait dans la haute bourgeoisie Anglaise, en 1913. En 1931, il étudie le français et l’italien à Cambridge. Il se passionne pour la course automobile et troque sa Riley Nine pour la MG Magna ci-après. Il devient membre du CUAC (Cambridge University Automobile Club), où il rencontre le gentleman-driver Américain Whitney Straight.
Seaman se prend au jeu, abandonne les études pour la course automobile (premier gros résultat: le Ventoux 1934) Ses parents désapprouvent. Ce qui n’empêche pas Lilian Mary, sa mère, de lui payer une Bugatti 2 litres, puis une Lagonda 3 litres et de lui envoyer régulièrement de l’argent.
Straight monte une écurie de Maserati. A Berne, son équipier Hugh Hamilton se tue, tandis que Seaman est vainqueur de classe avec une MG. Les journaux inversèrent les deux nouvelles. D’après la légende, William John Beattie, son père, lisant que son fils est mort, eu une attaque qui lui fut fatale. Pour “Dick”, tout s’enchaine, Straight dissout son écurie,Seaman est pilote d’usine ERA en 1935. En fin de saison, il prend le large et monte une écurie privée avec un mécanicien, Giulio Ramponi.
Pour 1936, Ramponi lui propose de racheter une Delage 1500 de 1927. Il s’impose avec à Pescara et à Bremgarten.
Seaman en 1936
Il loue une Maserati pour Donnington, où il s’impose et obtient une voiture “usine” au Nurbürgring.
Maserati
Que faire pour 1937 ? Il comptait faire installer deux moteurs Napier dans la Delage par Ferdinand Porsche. Mais après deux accidents, il réalise que le châssis est carrément dépassé pour affronter les courbes. Alfred Neubauer, le "team-manager" de Mercedes, lui propose un test, en novembre et son chrono est plus qu’honnête. Signer ou ne pas signer dans une écurie soutenue à 50% par l’Allemagne nazie?
Il consulte ses amis, qui lui disent qu’après tout, la Mercedes est la meilleure voiture de l’époque. Côté Mercedes, on se tâte également. Les nazis sont présent au service recrutement et ils veulent des pilotes aryens. Le Français René Dreyfus est écarté pour “nom à consonance Juive” et ils poussent Christian Kautz. Neubauer fait pression et Seaman est embauché.
Les premiers résultats 1937 sont moyens. Son meilleur classement fut 2e lors de la Vanderbilt Cup, à New York (où il trouve idiot que les pilotes US portent des casques en dur alors qu’un serre-tête en cuir, ça suffit, non?) Il se fait remarquer pour ses accidents et ses pannes multiples. En guise d’excuse, il passait d’une Delage de 150ch à une Mercedes de 645ch. Il reste de plus en plus de temps sur le banc de touche et doit se contenter de démonstration, comme ici à Crystal Palace:
Côté vie privé, à sa signature chez Mercedes, il déménage en Allemagne. Une fête de bienvenue est donnée en son honneur, à Munich. Il y rencontre Erica Popp, fille du co-fondateur de BMW. Sa mère désapprouve cette relation et menace de lui couper les vivres s’il l’épouse.
Par ailleurs, son image dans les paddocks est controversée. On se plaint de son style de “sportsman” Anglais qui fait du ski nautique:
En juin 1938, il épouse finalement Erica Popp. Le mois suivant, il participe au Grand Prix d’Allemagne: enfin une course d’envergure avec Mercedes. Qualifié 3e, il fait la course en tête sur le Nürburgring. Son équipier Manfred Von Brauchitsch le rejoint. Au 16e tour, Von Brausitsch s’arrête au stand et le carburant ultra-inflammable (éthanol+éther+nitrométhane) prend feu. Seaman s’arrête à son tour et on lui remplit le réservoir comme si de rien n’était. Tandis qu’à quelques mètres de là, on tente de maitriser l’incendie de la voiture de Von Brausitsch (toujours au volant, stoïque.) Seaman repart, suivi peu après de son équipier et s’impose. Sur le podium, on le force à faire le salut hitlérien et il confie à un proche qu’il aurait préféré conduire une voiture Anglaise.
La victoire au Nurburgring ne fut pas synonyme de job à plein temps. Au contraire. Pour les nazis, la victoire d’un Anglais sur une de leurs voitures, qui plus est en Allemagne est "affront". Cela ne les empêchent pas d’exploiter cette victoire à des fins de propagandes. Seaman ne retrouvera sa voiture que 3 Grand Prix plus tard, en Suisse. Il termine 2e, derrière Rudolf Caracciola. Du coup, en septembre, grâce à son beau-père, il dispute le Tourist Trophy sur une Frazer-Nash (qui produit des roadsters BMW sous licence pour la Grande-Bretagne.)
Doit-il poursuivre chez Mercedes, alors que la guerre semble de plus en plus menaçante ? En plus, il ne supporte pas la compagnie des nazis. Là encore, ses proches lui disent de rester. En février 1939, il doit être présent au salon de l’automobile de Berlin, où il va croiser Hitler. Il propose au contre-espionnage Anglais de payer à sa veuve un million de livres s’il tue le führer, il pensait qu’après cela, on l’exécuterai sur place. Les services secrets Anglais refuseront l’offre.
La saison 1939 fut de nouveau faite de séjour sur le banc de touche et de démonstrations, dont un documentaire publicitaire. A Pau, il ne tourne qu’aux essais, le temps de réaliser le meilleur temps et au Grand Prix d’Allemagne, il est trahit par un embrayage avec beaucoup trop de kilomètres.
A Spa, pour le Grand Prix de Belgique, il veut rééditer son exploit du Nurburgring l’an passé. Il pleut, mais il tient à faire un festival. Après avoir doublé Hermann Lang, il est deuxième lorsque le leader, le “rainmaster” Caracciola, perd le contrôle de sa voiture et se retrouve dans un talus. Au 12e tour, il a 31 secondes d’avance sur Lang. Il sort à 200km/h et percute un arbre. La voiture prend feu et Seaman, la main brisée, est brièvement prisonnier des flammes. Un commissaire le sort de là. L’ambulance arrive très tard, la course n’est pas arrêtée et elle doit faire le tour du circuit. Transporté conscient à l’hôpital, Seaman dit à sa femme qu’il risque de ne pas pouvoir aller avec elle au cinéma le soir. Il meurt dans la soirée, à 26 ans. La nouvelle fut un choc pour Mercedes. Il fut enterré en Grande-Bretagne. Parce qu’il avait fait le salut hitlérien lors de sa victoire, Hitler fit fleurir sa tombe. Bien des années après, Stirling Moss retrouva la tombe de Seaman et la fit restaurer. Depuis 1999, Mercedes s’en occupe de nouveau.