Remontons le temps
le circuit oublié
À la fin du XIXe siècle, l’Amérique ne possède pas de réseau routier digne de ce nom. La coterie des “sportsmen drivers” est en peine d’un
lieu où laisser s’exprimer leurs nouveaux engins mécaniques. En dehors des rues pavées des villes, point de salut...
En décembre 1902, C.W. Birchwood publie un article dans Automobile Magazine intitulé “Why not to Florida?”. Il y fait l’apologie d’un endroit idéal pour les courses de vitesse : la plage d’Ormond-Daytona. Une bande de terre à l’est de la Floride, séparée du continent par la rivière Halifax, dont la plage, face à l’Atlantique, offre à marée basse une bande de sable humide et compact, parfaitement rectiligne sur 50 km et d’une largeur moyenne de 150 m !
L’article va interpeller J.F. Hathaway, un homme d’affaires du Massachusetts retiré à Ormond, qui connaît bien la plage pour y avoir fait rouler sa Stanley Steamer. En janvier 1903, il lance une véritable campagne nationale de promotion, cherchant le soutien de la presse automobile américaine. Tout va alors très vite. En février, William J. Morgan correspondant de Automobile Magazine rencontre Hathaway à Ormond. Ce dernier lui présente John Anderson et Joseph Price, propriétaires du fameux Ormond Hotel. Rapidement le “First Annual Ormond-Daytona Beach Automobile Races” est programmé les 26, 27 et 28 mars 1903.
1904. “Willie” K. Vanderbilt et la Mercedes 90hp du record “amateur” du mile.
Mais pour que ce meeting soit officiel, il doit être validé par l’AAA et donc organisé par un club local. Morgan convoque alors quelques “sportsmen” de Jacksonville et fonde le Florida Automobile Association, l’idée étant que ce club supervise le meeting pour l’ensemble de la Floride. Mais à Ormond, Seabreeze et Daytona, on ne l’entend pas de cette oreille. En l’absence de Morgan est créé le Daytona and Seabreeze Automobile Association qui commence à œuvrer pour prendre le pas sur le FAA. Quand Morgan revient à Ormond, il se retrouve en pleine guerre de clocher et découvre que le FAA a annoncé à la presse que le meeting était annulé !
Furieux, il tente de rattraper le coup auprès des engagés, qui ont tous changé leurs plans. Mais le délai est trop court pour faire machine arrière et seulement deux constructeurs vont répondre présent : Alexander Winton avec sa “Bullet n°1” et Ransom Eli Olds avec son Oldsmobile “Pirate” confiée à Horace Thomas. Un seul engagé en catégorie moto : Oscar Hedstrom sur une Indian. Trois pilotes s’affronteront dans une course réservée aux Oldsmobile, et pour finir, J.F. Hathaway tentera un record sur un mille avec sa Stanley Steamer... Rien d’absolument extraordinaire mais cette première édition a ouvert la voie.
Fin 1903, le Daytona and Seabreeze Automobile Association est dissous, pour renaître sous le nom de Florida East Coast Automobile Association en charge du meeting annuel.
1905. Herbert L. Bowden et sa Mercedes “Flying Dutchman II”, au châssis rallongé pour recevoir l'énorme double moteur
Mais revenons un peu en arrière. Quelques jours après le premier meeting, Alexander Winton va déclarer à un journaliste du New York Sun que la plage d’Ormond n’est pas aussi rapide que prétendue. Certainement frustré de n’avoir battu que le record américain du kilomètre, échouant de peu sur le mile de Fournier à Coney Island en 1901, et loin des records mondiaux d’“Augières” en 1902 à Dourdan ! C’est un coup bas porté à la jeune épreuve et W.J. Morgan se doit de réagir s’il ne veut pas enregistrer un nombre important de défections pour le meeting de 1904.
Car la rumeur file vite, Winton n’est pas n’importe qui et il est respecté et écouté dans le microcosme du sport automobile naissant. Le salut va venir d’un autre constructeur. À l’été 1903, la Packard Motor Car Co. a construit sa première voiture de course, la “Grey Wolf”, dessinée par le Français Charles Schmidt, ex-ingénieur chez Mors. Équipée d’un quatre cylindres de 24 hp, cette voiture légère a été engagée dans des courses sur circuits ovales, mais n’a pas encore été testée à pleine vitesse. Morgan profite de l’occasion et propose de venir sur la plage d’Ormond-Daytona pour tenter de battre les records de la catégorie “mediumweight” (voiture n’excédant pas 650 kg). Charles Schmidt est séduit et accepte.
Viendra se joindre à eux, le constructeur Stevens-Duryea avec sa “Spider” pilotée par Otto Nestman, en catégorie “lightweight” (voiture n’excédant pas 450 kg). Ils vont s’en donner à cœur joie les 1er et 2 janvier 1904, en battant la quasi totalité des records nationaux et mondiaux dans leurs catégories, du kilomètre aux 5 miles ! William Morgan jubile, ce succès propulse la plage d’Ormond “the best place for land speed records” !
Les engagements vont affluer pour le meeting organisé du 28 janvier au 1er février. Mercedes ne va pas rater ce rendez-vous grâce à ses riches clients Américains. James L. Breese engage une 40 hp, Samuel B. Stevens et Herbert L. Bowden engagent des 60 hp, et William K. Vanderbilt Jr. est présent avec une 90 hp. Et avec quel brio puisque les Mercedes vont rafler tous les records ! Vanderbilt va s’approprier les records du monde du 1, 5, 10, 20, 30, 40, et 50 miles ! H.L. Bowden le privera du record des 15 miles, et le kilomètre sera remporté par Charles Basle avec la 60 hp de Stevens.
La presse se fait l’écho de cette réussite et prédit un plus grand succès pour le meeting de 1905. Mais en interne les choses ne se passent pas au mieux. Un lobby pro-Daytona prend le contrôle du Florida East Coast Automobile Association, fait construire pendant l’été 1904 un “clubhouse” et, avec l’assentiment de l’AAA, débarque W. Morgan et transfert le point de départ des courses à Daytona, juste en face du “clubhouse”. Les nombreux protagonistes basés à Ormond (10 km) vont protester, et finalement un accord est trouvé pour alterner quotidiennement les départs entre Ormond et Daytona.
Le meeting de 1905 se déroule du 24 au 31 janvier. La nouvelle équipe dirigeante, trop dans l’apparat et privée de l’expérience de Morgan, va commettre de nombreux impairs. Des courses trop tôt le matin par une température glaciale qui perturbe les moteurs, ou encore mal programmées avec les marées, empêchant leur bon déroulement... À tel point que l’AAA devra prêter main-forte à l’organisation, ce qui n’est pas son rôle. Heureusement cela n’empêchera pas les records d’être battus. À commencer par celui, officieux, de la représentation Mercedes : sept voitures sont engagées dans les différentes courses. William K. Vanderbilt Jr. est de retour avec sa nouvelle 90 hp type “Gordon-Bennett”.
Edward R. Thomas, jeune millionnaire New Yorkais, engage sa 90 hp qu’il partagera avec Edwin E. Hawley. On note la carrosserie enveloppante de la 90 hp de Samuel B. Stevens. On se réjouit de la présence de la 90 hp des records de 1904, revendue à Bernard M. Shanley. Deux autos sont engagées par James L. Breese : une “petite” 3 l. de 18 hp, et une 5 l. de 35 hp. Enfin, Herbert L. Bowden aligne sa création, le “Flying Dutchman II” de 120 hp.
Déçu des performances de sa Mercedes 60 hp en 1904, Bowden était déterminé à revenir avec un bolide puissant. Il a donc fait ajouter le moteur 60 hp issu de son bateau –le “Mercedes USA”, un racer de 25 pieds– afin de doubler la puissance. Les deux moteurs sont accouplés sur un même vilebrequin réalisé spécialement, ce qui en fait le premier Mercedes huit cylindres en ligne !
Mais cette bonne représentation ne sera pas synonyme de record. Vanderbilt va connaître des soucis de transmission, Hawley et Stevens échouent dans leurs tentatives. Les autres pilotes ne réalisant que des résultats secondaires.
Seul Thomas apporte deux victoires à la marque : le Brokaw Trophy (5 miles), et la course réservée aux... Mercedes ! Le “Flying Dutchman II” va pulvériser plusieurs records, mais aucun ne sera officialisé, l’auto étant bien au-delà de la limite de poids autorisé.
Le grand gagnant de cette édition est Arthur MacDonald, établissant cinq records avec la Napier 90 hp appartenant à S.F. Edge.
Si ce meeting est une réussite sur le plan sportif, c’est un fiasco du point de vue de l’organisation. La presse se déchaîne contre le Florida East Coast Automobile Association, qui perd ses soutiens financiers. Avec l’appui d’un groupe influent de résidents d’Ormond est fondé le Ormond Racing Association, et William Morgan est réintégré dans ses fonctions. Les deux clubs devront collaborer pour organiser le prochain meeting annuel.
Entre temps, Morgan a fait un voyage en Europe afin de convaincre les constructeurs de s’engager officiellement à Ormond. Seul Darracq & Cie va répondre favorablement en alignant une équipe composée de quatre voitures, dont la 80 hp victorieuse de la Coupe Vanderbilt en octobre 1905 et la fameuse V8 200 hp détentrice du record du monde de vitesse depuis décembre.
L’équipe sera managée par Victor Hémery. Mercedes engage une 90 hp pilotée par Joe Downey via son distributeur aux États-Unis. J.R. Harding engage sa 90 hp et une troisième Mercedes 35 hp sera présente grâce au fidèle James L. Breese.
L’on sait ce qu’il advint durant ce meeting du 23 au 29 janvier 1906, de l’équipe Darracq et de son leader Hémery, dont les Américains qualifieront pudiquement l’attitude de “comportement antisportif” (lire). Les Mercedes vont réaliser des résultats mitigés, souvent aux avant-postes mais toujours battues au final. Downey termine deuxième du 5 miles “Heavyweight Championship”. Lors de la Corinthian Cup de 10 miles, Harding fait deuxième dans la première manche et Breese remporte la seconde manche. Dans la finale, Breese réalise tout de même une belle performance en terminant à 19” du vainqueur Samuel B. Stevens qui s’est offert la Darracq 80 hp de la Coupe Vanderbilt !
Assurément le meeting de 1906 est un franc succès pour le Florida East Coast Automobile Association qui redore un peu son blason. Ce qui laisse augurer de bonnes choses pour les meetings suivants. Mais les nuages sont à venir...
La liste des engagés pour le meeting de 1907 est courte et à cela deux raisons.
La première c’est le calendrier. Prévu du 19 au 25 janvier, le meeting se trouve exactement entre les deux plus importants salons automobile des États-Unis –celui de New York mi-janvier et celui de Chicago début février– ce qui ne laisse que trop peu de temps pour participer aux trois événements.
D’autre part, les années précédentes ont montré que les véhicules à vapeur étaient quasi imbattables sur les épreuves courtes de moins de 5 miles. Les constructeurs vont donc faire l’impasse à Ormond pour se concentrer sur les salons, ce qui va pousser les organisateurs à écourter le meeting de deux jours, qui aura donc lieu du 21 au 25 janvier.
Moins d’une quinzaine de véhicules sont engagés, dont trois Stanley à vapeur, et un “nouveau” constructeur : American Mercedes ! Nous n’allons pas refaire ici la longue et complexe histoire de cette marque, depuis les premiers accords entre Gottielb Daimler et William Steinway en 1888, jusqu’à la création de American Mercedes en 1905 dans les locaux de Steinway & Sons à Astoria, New York. Mais l’engagement de cette voiture à Ormond n’est pas anecdotique.
905. James L. Breese et sa Mercedes 35hp.
James Lawrence Breese, photographe de talent et cofondateur du “Camera Club” de New York, a fait sa fortune grâce à la bourse. C'est le plus fidèle des “gentlemen drivers” Mercedes à Ormond avec trois années consécutives et trois Mercedes différentes (18 hp, 35 hp, et 40 hp). Il devait propulser la marque sur le devant de la scène sportive automobile. Edward “Ned” B. Blakely va brillamment s’illustrer au volant de cette 70 hp, remportant plusieurs courses, battant même une Stanley Steamer dans un “run” de 10 miles, et surtout en décrochant la Minneapolis Cup, épreuve phare de 100 miles. Ce succès aurait dû être un tremplin pour la marque. Malheureusement, en février suivant, un incendie va entièrement détruire l’usine d’Astoria.
Puis la “panique boursière” va refroidir les investisseurs et la marque ne repartira pas. Ayant produit cent unités entre 1905 et 1907, American Mercedes végétera jusqu’à sa dissolution en 1913.
Notons enfin l’accident dont est victime Fred Marriott au volant de la Stanley Steamer la plus performante, privant ainsi la marque de toutes possibilités de records. D’ailleurs aucun record ne sera battu en automobile lors de ce meeting. Seulement trois le seront en moto, dont un non officiel !
Piètre bilan donc pour cette cinquième édition des Ormond-Daytona Beach Races. Le ciel s’assombrit et certains journaux prédisent même la fin des courses sur la plage de Floride... Les organisateurs doivent impérativement revoir leur copie s’ils veulent que l’événement annuel survive.
1905. La belle Mercedes 90hp de Samuel B. Stevens, industriel de Rome, NY.
En 1906 à Ormond, il sera désigné par Charles D. Cooke, directeur de l'American Darracq Co., pour prendre la direction de l'équipe, suite à l'éviction de Victor Hémery. Afin de participer à la Corinthian Cup, course pour amateur dont le règlement stipule que les pilotes doivent être propriétaire de l'auto, il n'hésite pas à acheter la 80 hp et décroche la victoire.L’édition de 1908 s’annonce comme celle du renouveau. Le Florida East Coast Automobile Association a pris deux décisions d’importance. Tout d’abord changement du calendrier afin de ne plus être en conflit avec les Salons : le meeting est programmé du 3 au 6 mars. Ensuite, l’accent est mis sur les courses longues, d’un minimum de 100 miles et jusqu’à 300 miles.
Seulement trois “run” d’1 mile sont prévus le dernier jour, mais pour y participer les concurrents devront se qualifier en réalisant une moyenne d’au moins 60 mph (96 km/h) sur une distance de 100 miles ! De fait, cela écarte les “vapeurs” et autres engins “spéciaux”, faisant la part belle aux autos de course et sportives de production. Mais ces bonnes résolutions ne vont pas suffire et la liste des engagés s’amenuise encore avec seulement onze véhicules inscrits, et neuf qui s’aligneront aux départs.
Néanmoins le plateau est diversifié : Fiat, Christie, Renault, Thomas, Cleveland, Allen-Kingston, Hotchkiss, et une Benz ! Louis J. Bergdoll va se faire remarquer avec sa 60 hp en remportant la course de 150 miles pour voitures de production et, le lendemain, celle de 125 miles réservée aux pilotes amateurs. Un autre amateur va faire sensation en battant le record du mile établi par W.K. Vanderbilt en 1904, le jeune David Bruce-Brown au volant de la Fiat “Cyclone” de Cedrino...
On reparlera de lui dès l’année suivante. Malgré tout, c’est un succès en demi-teinte pour ce meeting et il va falloir une bonne dose d’inventivité pour le sauver.
William Morgan est certainement celui qui y croit le plus, et pour assurer le spectacle, il va draguer tous azimuts. Autos, motos, mais aussi avions et même bicyclettes sont annoncés pour l’édition 1909, programmée sur trois jours seulement, du 23 au 25 mars. Mais sur les cinq avions prévus, un seul sera présent, et il ne prendra même pas l’air ! Une poignée des meilleurs coureurs cyclistes du moment établiront deux records, et deux équipes motos se livreront bataille, NSU et Indian, laquelle raflant tous les trophées.
Côté auto, le plateau est aussi léger que l’année précédente avec neuf concurrents. Buick aligne une équipe officielle de trois autos de 30 hp pilotées par Bob Burman, Lewis Strang et George DeWitt. Fiat a envoyé son étoile montante, Ralph DePalma avec la “Cyclone” du regretté Cedrino. Enfin, Benz est représenté par David Bruce-Brown avec une GP 120 hp propriété de Hugh D. McIntosh. Cette auto et son propriétaire sont tous deux bien connus. La Benz est celle que Victor Hémery a conduite à la deuxième place du GP de l’ACF à Dieppe et du GP de l’ACA à Savannah en 1908. McIntosh, dit “Huge Deal”, est un investisseur minier Australien, connu pour avoir organisé en décembre 1908 à Sidney, le combat entre le Canadien Tommy Burns et l’Afro-Américain “Jack” Johnson, ce dernier devenant le premier homme noir Champion du monde de boxe.
Bruce-Brown va largement dominer le début du meeting, battant à trois reprises son propre record sur 1 mile établi l’année précédente. Il faut dire que la Benz GP n’avait pas de concurrence, la Fiat concédant moitié moins de puissance et l’Hotchkiss “Red Devil” 120 hp de Kilpatrick, ayant cassé son moteur durant les tests, abandonnait avant même le début des courses! Le lendemain, George Robertson, avec la Benz GP, remporte la course de 5 miles et David, reprenant son volant, gagne celle de 10 miles.
Après quoi, la Benz va connaître des problèmes mécaniques et déclarer forfait pour le reste du meeting. Le dernier jour, les Buick quittent Ormond pour se rendre à une autre course, laissant seule la Fiat pour la dernière course majeure, la Minneapolis Cup de 100 miles. Après un départ symbolique, la course sera arrêtée au bout de quelques miles et DePalma déclaré vainqueur...
Avec seulement quatre records automobiles battus, cette édition fait pâle figure, et les organisateurs ont bien conscience que sans les deux roues, motorisés ou non, c’eût été un naufrage ! Cependant, rendez-vous est donné pour l’année suivante.
Pour 1910, Morgan va se démener pour renforcer la participation automobile et produire un léger mieux qu’en 1909 avec onze véhicules inscrits. Hormis les autos de productions, on note cinq purs “racers”. Ben Kersher engage la “vieille” Darracq 80 hp de la Coupe Vanderbilt 1904. Ralph DePalma aligne une Fiat 120 hp.
George Robertson et la dernière création de John Walter Christie, une 120 hp toujours à traction avant et carrossée façon “canoë retourné”. David Bruce-Brown est à nouveau présent avec la Benz GP 120 hp de l’année précédente, cette fois engagée par Benz Auto Import. Et enfin, Barney Oldfield apporte pour la première fois sur la plage d’Ormond la redoutable Benz 200 hp, détentrice du record du monde de vitesse depuis novembre 1909 à Brooklands aux mains de Victor Hémery.
Afin de faire monter la pression et assurer le spectacle qui fera venir le public, Morgan réussit à organiser un duel le 15 mars entre DePalma et Oldfield, en préambule du meeting programmé du 22 au 24. Mais ce qui semblait être une bonne idée va en fait s’avérer mauvaise.
Quelques jours avant l’événement, lors d’essais sur la plage, la Fiat va casser son moteur... Le propriétaire fait rapatrier l’auto à New York et annonce son forfait pour le meeting ! Le duel n’aura donc pas lieu entre les deux hommes qui déjà ne s’apprécient guère. Néanmoins, le lendemain, Oldfield prend la piste avec la Benz 200 hp, baptisée “Lightning Benz”, et établit deux nouveaux records sur le mile à 142,947 km/h départ arrêté et 211,988 km/h départ lancé ! Et il ne va pas s’arrêter là.
1908. Louis J. Bergdoll et la Benz 60hp.
Louis J. Bergdoll est l'un des quatre petits-fils du fondateur de la célèbre brasserie Bergdoll. Passionné d'automobile, il est agent Benz et Fiat à Philadelphie. Quelques mois après ses victoires à Ormond en 1908, il fonde la L.J. Bergdoll Motor Co. Bien que de bonne facture et malgré un slogan publicitaire assurant que “Même les ressorts sont garantis un an !”, les Bergdoll 30 et 40 hp ne rencontrent pas le succès attendu. La marque est déclarée en faillite en 1913.
En 1917, alors que les États-Unis entrent en guerre contre l'Allemagne, deux de ses frères, Erwin et Grover de conviction pro-Kaiser, désertent les rangs de l'armée Américaine. Une campagne de presse dénonçant leurs attitudes antipatriotique fera tomber le nom de Bergdoll en disgrâce, obligeant Louis et Charles à changer de nom : Charles devenant Braun et Louis prenant le nom de Bergson.Une semaine plus tard, le deuxième jour du meeting, Barney va battre le record du kilomètre lancé à 211,268 km/h et celui des 2 miles à 207,398 km/h. Le même jour, il réalise avec une Knox le record du mile pour voitures de production à 143,584 km/h. Assurément, Barney Oldfield est, cette année-là, l’homme le plus rapide du monde !
La concurrence est “à la rue”. Bruce-Brown avec la Benz 120 hp bat pour la troisième fois le record du mile “amateur” à 180,039 km/h. Robertson, qui connaît de gros soucis de refroidissement avec la Christie 120 hp, se voit attribuer le record du mile pour “voiture Américaine à essence” (!) à 190,643 km/h.
Le troisième et dernier jour devait être l’apothéose avec une course de 300 miles “formule libre”, récompensée par un trophée en argent massif de 152 cm de haut, le W.B. Five Thousand Dollar Trophy. Mais l’annonce d’une tempête va contraindre les organisateurs à annuler l’événement et clore le meeting. Tout un symbole dans cette fin orageuse qui sonne le glas des courses sur la plage d’Ormond-Daytona.
Épilogue
William J. Morgan va tenter jusqu’au dernier moment d’organiser un meeting en 1911. Mais ni les pilotes, ni les constructeurs ne vont le suivre et le Florida East Coast Automobile Association va perdre ses appuis financiers, le tout sur fond de tensions internes entre les clubs d’Ormond, Daytona et Jacksonville... Après huit éditions, la fin des Annual Ormond-Daytona Beach Automobile Races est entérinée.
Le monde du sport automobile Américain a changé, et désormais l’intérêt est porté sur les circuits routiers, Long Island, Savannah, Fairmount, Santa Monica, Elgin, etc, ainsi que les circuits ovales spécialement dédiés à l’automobile, à l’image du célèbre Indianapolis Motor Speedway construit en 1909. À l’inverse des plages, ces circuits permettent de canaliser le public et lui faire payer un droit d’entrée...
Les promoteurs ne vont pas hésiter longtemps. En 1911, Old Orchard dans le Maine, tentera l’aventure des courses sur plage, mais renoncera après l’édition de 1912, totalement déficitaire.
Mais la plage d’Ormond-Daytona ne tombera pas pour autant dans l’oubli. Le 28 mars 1911, près de cinq mille personnes assistent au vol du Curtiss de John McCurdy, et trois jours plus tard est organisée une course de 5 miles contre une automobile, la Welch 90 hp de George Desjardines.
Enfin, le 23 avril, Bob Burman va pulvériser les trois records de Barney Oldfield, avec la même Benz 200 hp rebaptisée “Biltzen Benz” et propriété d’Ernest A. Moross.
Dans l’enthousiasme, Moross annoncera l’organisation d’un grand meeting en 1912...
Mais sans suite. Quelques courses auront lieues en septembre 1914. Dans les années vingt et trente, Daytona sera l’endroit privilégié pour les records de vitesse, mais il faudra attendre la fin des années quarante pour revoir des courses sur la plage et la création de la NASCAR... Mais ça, c’est une autre histoire !